Gérald Kerguillec :
puzzle et mises en œuvres
L'intervention de Gérald Kerguillec à Vassivière comportait deux volets. L'un lié à la sculpture avec un puzzle composé de trente-six modules uniques, en ciment, peints en blanc et disposés sur la prairie à l'entrée du Centre pour former un carré d'environ 50 m2, et l'autre visait la peinture et était exposé comme il se doit sur l'un des murs latéraux de la nef.
Sur l'art du puzzle, le mieux disant appartient depuis le préambule de "La vie mode d'emploi' à Georges Perec qui avait magistralement fait la leçon de ce que ce jeu d'assemblage doit être. Il le voyait d'ailleurs comme un art minimal, « un art bref, un art mince,...' et il considérait que: ' ... ce ne sont pas les éléments qui déterminent l'ensemble, mais l'ensemble qui détermine les éléments. » . Dans son credo il était un radical juste, en affirmant que considérer « isolément une pièce d'un puzzle ne veut rien dire elle est seulement question impossible, défi opaque... » et la logique semblait imparable, car une fois une pièce connectée à « l'une de ses voisines, la pièce disparaît, cesse d'exister en tant que pièce: l'intense difficulté qui a précédé ce rapprochement, et que le mot puzzle - énigme - désigne si bien en anglais, non seulement n'a plus de raison d'être, mais semble n'en avoir jamais eu, tant elle est devenue évidence : les deux pièces miraculeusement réunies n'en font plus qu'une... »
L'art du xxe siècle s'est donné comme but de renverser toute donne et de retourner telle une chaussette le diktat de l'acquis. Ainsi procède en plasticien inspiré Gérald Kerguillec dans le rôle du faiseur de puzzle, qui de surcroît est le plus difficile. On sait que le degré de subtilité d'un puzzle réside non pas dans l'image de départ mais dans la découpe. Dans notre cas, le compte n'est pas réglé avec l'image mais avec l'histoire de la sculpture de cette deuxième moitié de siècle. Le puzzle blanc, réputé difficile, est un pied de nez, mais le différend n'est pas avec Perec mais avec les minimalistes . Kerguillec revient malin sur le cahier de charges minimal : le rapport au sol, la série, la mêmeté, et introduit une dimension allégorique. Rien n'est faux, ni laissé au hasard, tout peut fonctionner, s'emboîter et pourtant l'oeuvre existe en tant que somme d'éléments et non en tant que rhétorique, assumant le hors temps et sa marge appréciable de distanciation. La ruse de l'évidence joue en faveur de la sculpture selon les règles de la modernité et non pas selon l'orthodoxie. Le spectateur parcourra un lieu donné, se positionnera en fonction d'un dédale imaginaire et résoudra cette équation passionnante qui fait que même annihilé mentalement, l'écart entre les éléments compte plus que leur réunion.
AMI BARAK (directeur FRAC Languedoc Roussillon)